Chez Tutti ,c'est une petite maison de briques rouges au milieu des cocotiers à Kuta à l'entrée du village ,sur la route principale.On y accède par un chemin de terre ,c'est calme ,c'est là que j'habite quand je ne suis pas à l'hotel .La maison est simple et sommaire :une chambre,une pièce à vivre ,une cuisine avec un évier et un "mandi",la bassine d'eau où l'on prend plaisir à s'asperger à l'aide d' une écuelle :c'est vivifiant et régénérant ( Un de mes meilleur souvenir: un mandi en plein air ,à l'abri des bamboux ou le pur retour à la nature et aux éléments) .Des matelas pour dormir , deux armoires de rangement et des tapis meublent la maison .C'est l'essentiel et ça suffit .Les briques de terre rouges ont remplaçé les panneaux de bambou tressé dans les nouvelles constructions de maison ,tout comme les tuiles ont succédé au chaume pour recouvrir les toits .La maison sassak traditionnelle s'efface peu à peu pour laisser la place à des maisons "modernes" dès que les villageois en ont les moyens. La vie n'est pas centrée sur le dedans et les portes des maisons dans les villages sont toujours ouvertes ,le dedans et le dehors communiquent ,l'autre est toujours le bienvenu et les relations sociales harmonieuses sont une priorité dans la vie des sassaks . La "beruga",qui est une plate forme en bois ou en bambou plaçée devant la maison fait partie intégrante de cette convivialité inhérante à la culture sassak . Les indonésiens adorent s'y prélasser ,recevoir des invités,s'y installer pour trier des légumes ,boire un café,manger,parler avec des amis,des voisines ou des gens de passage...Tutti est ravie d'avoir enfin la sienne...
Le matin les oiseaux chantent de tous les cotés . Les coqs aussi , dans un genre moins mélodique . La nuit on entend courrir les souris sur le plafond ;quand il pleut la cacophonie des grenouilles et des crapeaux encercle la maison ; par temps sec le chant des grillons prend la relève . Et parfois , au milieu de la nuit , s'elève ,profond et guttural, le son inimitable des grands guéckos ,superbes lézards qui aiment nicher dans la charpente des toits . Leur son énigmatique remplit l'espace , un son rond ,grave et léger à la fois ,comme une suite de bulles décroissantes qui éclatent , libérant un appel mystérieux sorti des profondeurs de leurs origines . Ils semblent alors scander leur propre nom . Entendez- les sept fois d'affilée et cela vous portera chance... Et quand il y a du vent les branches des cocotiers ne cessent de frémir et de valser ,c'est alors une douce musique qui nous entoure et nous berçe ,comme une pluie fine qui ne vient pas ...
Dès cinq heure du matin l'appel du muezzin retentit dans toutes les mosquées des villages de Lombok ,c'est le premier appel à la prière et en général l'heure à laquelle se lève Tutti .Certains se lèvent ou pas ,d'autres se rendorment...Ici chacun gère les cinq prières de la journée selon son envie ,sa conscience ,sa disponibilité...Mais d'une manière générale tous les indonésiens se lèvent tot et comme dans le reste de l'asie la journée commence avec le lever du soleil .
Et où qu'elle soit ( à Kuta ou à Pengembur) la maison se réveille aux sons des va et vient de Tutti . Elle s'active trés tot aux taches ménagères :le ménage à l'intérieur se limite à un coup de balai dans chaque pièces de la maison .Par contre un soin particulier est toujours accordé à nettoyer le devant des maisons.Leur balai de jonc ratisse impeccablement jardin et tout autre surface ,efficace! Ce qui prend le plus de temps c'est la lessive .Vive la machine à laver ! Aprés la télé (indétronable et irremplaçable télé ) c'est ce que les indonésiennes qui travaillent et qui ont un bon revenu vont s'acheter .C'est à dire celles qui gagnent entre cent cinquante et deux cent euros par mois . Au delà de ces salaires il y aura souvent dans la maison indonésienne une employée qui fera ménage ,lessive et repas pour soixante euros par mois environ , comme chez Anna, la belle soeur de Tutti qui travaille au Novotel, il y a deux jeunes femmes chez elle à plein temps ,l'une pour s'occuper de son fils ,l'autre pour l'aider à préparer chaque matin les gateaux et "en-cas" qu"elle vend à la coopérative des employés de l'hotel .
Repas en famille chez Bibi Tuti et Om Man avec le petit cousin Fabian. Hum ! Du fameux soto ayam(soupe au poulet)
En fait la maison de Kuta a été construite aprés son mariage avec Man sur le terrain familial . Pour l'instant ils n'y vivent que par intermittence car elle travaille toujours à l'école de Pengembur pour donner des leçons d'anglais et son mari qui est agent de sécurité dans un grand hotel , à deux heures de route en moto , ne rentre que deux fois par semaine .Donc Tutti habite chez Dey avec Fabian son fils de quatre ans car elle n'est pas rassurée de dormir seule dans l'autre maison . A Pengembur il y a toujours sa maman et maintenant Ila ,la femme de Dey qui y vivent . Et puis il y a son travail et ses collègues ,c'est un point essentiel dans sa vie car elle adore etre entourée et avoir des amis . Elle ne veut pas etre complètement absorbée par son role de mère et d'épouse vivant au village et a envie de rester active et entreprenante . D'où l'idée de faire des gateaux pour les vendre d'abord à l'école et ensuite se développer en ayant des commandes.
Mais le reve de Tutti a longtemps été de devenir fonctionnaire ,comme beaucoup d'indonésiens ,quelque soit le métier, infermier,policier,instituteur,comme partout le fait de devenir fonctionnaire est synonyme de sécurité en matière d'emploi . En indonésie c'est un privilège encore plus grand vu le marché du travail et les conditions de travail qui sont précaires ( pas d'Assedic ,de congés maladie et encore moins de congées payées et aucune couverture sociale ,bien sur ,à moins de souscrire une assurance privée , ce qui ne se pratique pas dans les petits villages de Lombok ) . Ici seuls les fonctionnaires ont droit à des vacances , une retraite et peuvent bénéficier de prets à la banque.
Chaque année des postes se créent dans tous les domaines .Le gouvernement indonésien ,en matière d'éducation fait des efforts pour améliorer les écoles dans les villages comme ,par exemple à Pengembur ,la construction d'une bibliothèque pour les élèves...Je pense que si toutes les subventions arrivaient aux destinataires il pourrait y avoir une réelle amélioration des conditions d'éducation en Indonésie .L'école est toujours payante mais si des élèves pauvres ont de trés bons résultants ils auront peut -etre la chance de bénéficier de bourses d'étude pour leur études supérieures comme cette petite cousine de Tutti partie étudier à Jakarta . Evidemment la corruption menace et réduit constamment les chances de ce pays à accéder à un renouveau social .Pour l'instant ce sont toujours les plus riches et non les plus méritant qui accèdent aux postes débloqués par le gouvernement et d'une manière générale les pauvres n'ont pas accés (ou dans une proportion infime ) à l'éducation ( tout comme ils n'ont pas accés à la santé).
Le gouvernement combat déja depuis quelques années la corruption avec des campagnes d'éradication relayées par les médias .Mais dans les provinces reculées la force du pouvoir local ,le poids des structures sociales établies et le manque de réaction de la population face aux élites permettent à la corruption d'évoluer en toute impunité aux yeux et au sus de tous. Par exemple ,July , dix huit ans ,terminant ses études d'institutrice reçoit du gouvernement une aide de deux millions de roupias ( deux cent euros) qui transitent par le directeur de l'école et bien elle n'en touchera que la moitié .Mais ce directeur habite le meme village que ses parents où elle vit ,à quelques maisons de la sienne ,ils se connaissent bien ...D'autant plus délicat d'aller lui réclamer quelque chose et la famille de July n'est ni assez riche ,ni assez grande pour se confronter à la famille de cet homme. Donc July et sa famille accepteront le détournement sans rien dire de plus.
Pour un poste d'instituteur il faut compter actuellement entre 3000 et 5000 euros ; pour un infermier disons qu'à partir de 5000 euros c'est peut etre encore faisable ,par contre ,pour devenir policier ,aux dernières nouvelles ,à Mataram ou Praya il faut déverser dans les dix mille euros !! C'est effarant surtout quand on sait que leur salaire se situeront entre deux cent et trois cent euros par mois ! Et ça veut aussi dire que les gens acceptent et adhèrent à ce système vu comme les enchères montent ! Les sassaks semblent encore trop englués dans leurs traditions et pas assez sur d'eux meme et de leurs droits pour se révolter en masse contre ce mode de fonctionnement. (Les endroits où les gens protestent le plus sont les grandes villes universitaires ,en particulier celles de java)
Tutti reste quand meme à l'affut des postes qui pourrait se créer mais les informations circulent mal ...Elle demande toujours au directeur de l'école des infos mais elles n'arrivent pas toujours jusqu'a lui ...Elles sont en général détenues par ceux qui vont favoriser l'obtention du poste via quelques millions de roupias ! Et puis il y a ceux qui font croire qu'ils ont des infos ,comme cet homme honorable qu'elle est allé voir avec une de ses collègues et qui pouvait les aider contre un millions de roupias ( seulement une centaine d'euros ! ) à etre inscrite sur la liste tant convoyée.
Heureusement elle s'est vite aperçue de la supercherie...D'autres avant elle se sont fait roulés mais ce n'est pas pour autant qu'ils sont allés se plaindre .D'abord c'est illégal de vouloir payer pour avoir des informations ou un poste et il y a toujours l'individu qui n'est rien sans l'appui de sa famille et l'individu en question peut etre trés géné ( "malu" en indonésien ) et ça etre géné c'est toute une institution en indonésie ...Pour l'instant elle s'en tient à son poste de remplaçante et meme si elle est sous payée ,elle a un travail et une vie sociale avec des collègues avec qui elle organise toutes sorte de tontines et où elle peut vendre ses gateaux.
Préparation des petits gateaux secs à la cacahuète à Pengembur ...
Les tontines c'est aussi ,au dela du role de lien social ,le moyen de disposer d'une somme importante à un moment donné .Dans les villages il y a aussi des regroupements de personnes autour des tontines "arisan" qui concernent les matériaux de construction pour les maisons( le ciment,le bois,les briques...)où chacun donnera ,par exemple,cinq cent mille roupias tous les trois mois ( cinquante euros) et celui qui en aura besoin disposera de l'argent pour construire ou réparer sa maison ,uniquement. Les autres moments de la vie d'un indonésien qui sont importants et qui nécessitent à chaque fois un fort investissement sont les cérémonies ( le mariage,la circoncision,l'enterrement). On trouve donc ,dans ce cadre ,les "banjar" où les participants vont amener des produits de première nécessité comme de l'huile,du café,du sucre ,du riz... qui leur sera rendu quand ,à leur tour ,ils en auront besoin .
Pour Tutti et les autres jeunes du village c'est difficile de trouver un travail bien rémunéré et en dehors des travaux dans les champs ou ouvrir sa propre petite épicerie ,il n'y a rien d'autre à faire .Et meme si la solidarité et l'entraide sont trés présentes dans les villages sassaks ,parfois cela ne suffit pas à combler les manques ,surtout si le réseau social et familial n'est pas assez fort . Tous les ans beaucoup d'hommes partent travailler en Malaisie dans les champs de palmier ,certains par l'intermédiaire du gouvernement ,d'autre illégalement ,souvent pour une période de deux ans. Le travail est trés dur , ils gagnent en moyenne deux cent euros par mois ,ils envoient régulièrement l'argent à leur famille restée sur place .Par exemple ce travail aura permis au voisin de Dey de construire une nouvelle maison en brique .Pour d'autre,notamment les jeunes cela peut leur permettre de se faire un petit pécule en vue de se marier...
Un matin ,alors que j'étais assise sur la "beruga" devant la maison de Tutti ,j'ai fait la connaissance de la voisine qui revenait d'un séjour de deux ans en Arabie saoudite . Tika a trente trois ans et elle a passé ces six dernières années à l'étranger ,à chaque fois comme femmme à tout faire . Aprés la Malaisie , l'Arabie saoudite est la destination phare pour les villageois de Lombok pour partir travailler à l'étranger ,parfois à leur risque et péril comme, par exemple, pour tous ces hommes qui partent en Malaysie illégalement et qui "disparaissent". Les femmes partent majoritairement travailler en arabie comme bonne,femme de ménage,nounou...et plus meme sans affinité...
Le 20 juin 2011 les militants des droits de l'homme "Migrant care" ,une O.N.G de défense des travailleurs migrants indonésiens se sont réunis à Jakarta en mémoire de Ruyati Binti Saruna ,employée de maison de cinquante quatre ans décapitée trois jours plus tot à la mecque ,en Arabie Saoudite ,pour le meutre de l'épouse de son employeur...Ce n'est pas la seule ,ving quatre autres indonésiennes attendent leur exécution dans les prisons saoudiennes. Pour l'instant le ministre du travail indonésien a arreté temporairement le départ de ses ressortissants en arabie .Le froid diplomatique est survenu aprés la mise à mort de Ruyati car le gouvernement indonésien qui avait soutenu Ruyati n'a pas été prévenu de l'imminence de l'exécution..."Migrant care" reproche au gouvernement indonésien de ne pas assez agir en faveur de toutes ces femmes prisonnières en Arabie et bien sur il faudrait des accords entre les deux pays comme ce qui a été fait avec la Malaysie .En effet,aprés deux années d'interdiction pour les indonésiennes d' aller travailler en Malaysie comme employées de maison ,des accords entre les deux pays ont été signés visant à donner de meilleures conditions de travail ( un jour de repos par semaine,les patrons ne seront plus autorisés à conserver leurs passeports ).C'est un début mais les O.N.G craigent que les textes ne soient pas appliqués dans la réalité.
Tika est partie à chaque fois en Arabie dans le cadre du ministère du travail indonésien .Tous les frais de voyage sont pris en charge par son patron ,elle le remboursera sur sa paye .Elle vit avec la famille chez qui elle travaille et s'occupe du ménage et des enfants du matin au soir ,elle n'a pas de jour de congés.Pour éviter que les employés ne partent avant la fin de leur "contrat"(deux ans ,en général)soit les patrons gardent leur passeport ,soit ils ne leur donne pas leur salaire ,comme cela ils ont toujours un moyen de pression sur eux.
Dans le cas de Tika lors de son dernier séjour sa patronne lui avait pris son passeport et ne voulait pas le lui rendre lorsqu'elle lui a dit qu'elle voulait rentrer en Indonésie .Elle arrivait à la fin de son contrat .je lui ai demandé pourquoi elle n'a pas cherché une aide extérieure mais elle m'a dit que la police était trop corrompue pour qu'elle puisse espérer de l'aide .De plus , toutes les femmes qui partent à l'étranger ne sont pratiquement jamais sorties de leur ile ,voire de leur village ,alors comment feraient-elles pour se débrouiller seules à l'étranger ? La seule solution qu'a trouvé Tika ,aprés s'etre battu avec sa patronne ,a été de s'enfermer dans la salle de bain et de ne plus en sortir ,en menaçant de faire la grève de la faim si elle ne lui rendait pas son passeport ...Finalement elle s'en est bien sortie et ne souhaite qu'une chose ,repartir au plus vite ,peut-etre à Hong-kong cette fois! Sa famille préfèrerait qu'elle fasse une pause mais elle ne veut pas renonçer à un travail aussi bien rémunéré que si elle était fonctionnaire dans son pays. L'argent du voyage étant avançé par l'employeur il ne lui reste plus qu'à partir pour accumuler l'argent qu'elle investira peut -etre, un jour, dans l'achat de terrain à Sumbawa ,l'ile voisine de Lombok,destinée semble-t-il à devenir un nouveau pole économique et touristique...
Jeune fille sortant de l'école,longeant les rizières pour rentrer chez elles...
Photo de famille à Mataram chez l'oncle de Soleyman ,Azwar ( au milieu avec Soleyman) avec sa tante Nur à sa gauche et sa petite cousine germaine Clara au dessus .Ils habitent à Mataram depuis plusieurs années ,Azwar est contre-maitre sur les chantiers et Nur est couturière et a aussi aménagé une petite épicerie dans sa maison qu'ils viennent d'agrandir .Soleyman adore aller chez eux et profiter de la ville : les ballades au Mall , les repas au Mac-Do ou au KFC et les aprés midi à Kura-Kura le grand parc aquatique de la ville ...
La maison de Clara à Mataram;Soleyman et Clara sur la nouvelle terrasse.